Feux de forêt et de végétation : un rapport sénatorial prépare le terrain pour une proposition de loi à la rentrée

Alors que les incendies de forêt ont battu des records en France cet été, le Sénat a publié début août un rapport d'information qui met l'accent sur un relèvement des objectifs de débroussaillage, sur la prévention et sur un net renfort de moyens matériels et humains pour limiter les risques d'embrasement liés au réchauffement climatique. Les mesures préconisées doivent permettre d'alimenter une proposition de loi à venir, à la rentrée parlementaire.

Les feux de forêts et de végétation qui ont battu des records cet été en France étaient encore loin d'être éteints quand le Sénat a publié début août un volumineux rapport sur le sujet. Fruit d'un travail engagé en mai dernier par une mission constituée à l'initiative de deux de ses commissions (Aménagement du territoire et Développement durable et Affaires économiques), ce rapport, dont la parution a été précédée d'une table ronde organisée à la mi-juin (lire notre article), s'inscrit dans la lignée d'un document produit par une mission flash de l'Assemblée nationale début 2022 (lire notre article) et des prévisions de l'Inrae présentées fin juin (lire notre article).

Réalisé par quatre élus de la droite et du centre – Jean Bacci (LR, Var), Anne-Catherine Loisier (Union centriste, Côte d'Or), Pascal Martin (Union centriste, Seine-Maritime) et Olivier Rietmann (LR, Haute-Saône), le rapport fait d'abord le constat d'une "évolution défavorable du risque, structurellement causée par le réchauffement climatique et l'augmentation de la biomasse forestière".

Cette augmentation du risque se manifeste de quatre manières, relèvent les sénateurs, à commencer par son intensification. En région méditerranéenne française, les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80% d'ici 2050 et les espaces boisés laisser peu à peu la place à des maquis du fait de la hausse de la fréquence des feux. Autre crainte : l'extension géographique des feux. Les 1.725 hectares brûlés dans les Monts d'Arrée, en Bretagne, en juillet, en ont offert l'illustration. Or, en 2050, ce sont près de la moitié des landes et forêts métropolitaines qui pourraient être concernées par un risque incendie élevé contre un tiers en 2010. En outre, la période à risque fort sera trois fois plus longue à l'avenir puisque les feux hivernaux devraient se multiplier, alerte le rapport qui pointe aussi le risque de développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles (feux de friches, de récoltes et de chaumes, y compris dans les espaces péri-urbains).

Une stratégie nationale articulant prévention et sécurité civile

Pour les sénateurs, "le développement de feux hors normes met à mal la stratégie française de lutte contre les incendies". Parmi les plus grands incendies ayant touché la France ces 40 dernières années, trois se sont déclenchés en 2021 et 2022. Il s'agit aussi des premiers incendies de plus de 5.000 hectares depuis 2003. "En cas de feux simultanés comme en Gironde à l'été 2022, les coûts environnementaux et socio-économiques des incendies pourraient s'accroître de façon exponentielle", préviennent les sénateurs. "L'efficacité de la stratégie de lutte qui a fait de la France un modèle partout en Europe et dans le monde ne suffira pas face à l'émergence de feux hors norme", estiment-ils. Les rapporteurs défendent donc "une réflexion transversale, articulant prévention et lutte".
Selon eux, la prévention du risque incendie de forêt et de végétation doit mobiliser l'ensemble des politiques publiques. Pour mieux anticiper, ils préconisent l'élaboration d'une stratégie nationale interministérielle et avancent pour cela "trois propositions phares". Ils proposent ainsi de réaliser une meilleure évaluation de la "valeur du sauvé" pour mieux calibrer les moyens de prévention et de lutte contre l'incendie, qui devraient en tout état de cause être significativement accrus – ils jugent nécessaire de prévoir en particulier un "doublement des moyens alloués à la prévention". Pour être "pleinement acteur de cette stratégie", l'Office national des forêts (ONF), qui gère les 11 millions d'hectares de forêts publiques françaises, doit aussi "retrouver dès à présent des marges de manœuvre et étendre son périmètre d'intervention", avancent aussi les rapporteurs qui proposent de revenir sur les 500 suppressions de postes prévues à l'Office d'ici à 2025, "pour rétablir des postes d'agents de la protection de la forêt méditerranéenne et redéployer plus de personnels sur la défense des forêts contre l'incendie (DFCI) hors de cette zone." "La mise en œuvre de cette stratégie devra nécessairement être déclinée par territoires, même dans ceux aujourd'hui moins exposés au risque incendie", ajoutent-ils. Ils veulent ainsi encourager l'élaboration d'un plan de protection des forêts (PPFCI) dans les territoires classés à risque d'incendie.

Obligations de débroussaillement et gestion durable de la forêt

Les sénateurs proposent également de "mieux réguler l'interface forêt/zones urbaines pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité". Rappelant la grande efficacité du débroussaillage pour prévenir les feux, réduire leur intensité et préserver les habitations, ils constatent pourtant que cette obligation légale, qui s'applique à environ 3 millions de propriétaires privés, est trop peu appliquée : "souvent moins de 30%". Pour y remédier, ils proposent plusieurs leviers : plan de sensibilisation, sanctions pénales renforcées, incitations fiscales ou augmentation de la franchise d'assurance en cas de non-respect.

Face à une gestion jugée insuffisante de la forêt privée, qui représente trois quarts de la forêt française, les sénateurs proposent "d'abaisser le seuil d'obligation" de gestion durable pour la forêt privée à 20 hectares, contre 25 à ce jour. Ils considèrent en outre que "la valorisation économique des produits de la forêt permet de réinvestir les massifs peu gérés et d'optimiser les synergies entre desserte forestière et pistes de défense contre les incendies (DFCI)". Ils préconisent donc d'intégrer aux objectifs des chartes forestières de territoire ou des plans de massif la prévention du risque incendie "afin de faire de la structuration de filières en circuits courts un atout dans la connaissance et la gestion des massifs". Alors que la propriété morcelée et les multiples statuts de la forêt rend difficile la prévention des feux, les sénateurs veulent aussi instaurer un droit de préemption des parcelles de forêt sans document de gestion durable et présentant un enjeu au regard de la défense contre l'incendie au profit des communes qui s'engageraient à les intégrer au régime forestier.

Le rapport préconise aussi de valoriser le rôle des activités pastorales et agricoles qui, en "créant des discontinuités de végétation, jouent le rôle de pare-feu". "Cette 'ligne Maginot' de la gestion doit pouvoir bénéficier des fonds européens et être exemptée d'indemnité de défrichement", avancent les sénateurs. Ils veulent aussi permettre au préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles (moissons…) la nuit en cas de risque incendie "très sévère" et compenser le cas échéant les agriculteurs pour les coûts induits (hausse des charges, récolte détériorée).

Pour prévenir les comportements imprudents, ils proposent de lancer une campagne de communication au niveau des préfets et des élus à l’automne et à l’hiver, notamment en matière de débroussaillement, et de mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du Service national universel (SNU), afin de sensibiliser les usagers en forêt lors des périodes à risque.

Accroître les moyens des Sdis

Les élus déplorent aussi l'insuffisance des moyens aériens (avions et hélicoptères) pour faire face à l'évolution du risque incendie. Ils demandent l'augmentation du budget de la protection civile pour permettre l'acquisition de moyens "à la hauteur du risque" et "s'appuyer, en tant que de besoin, sur la location d'appareils". Ils réclament également d'"augmenter significativement dans un cadre pluriannuel" la dotation de soutien de l'Etat à l'investissement des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) pour permettre notamment l'acquisition de véhicules et leur renouvellement.

Enfin, après un incendie, les sénateurs souhaitent que l'aide de l'État pour reboiser soit conditionnée "à des choix d'essences et de gestion adaptés au risque incendie (par exemple en maintenant des pare-feux, en expérimentant des corridors de feuillus ou une moindre densité de peuplement)".

"Les recommandations législatives du rapport seront traduites dans une proposition de loi, à venir, à la rentrée parlementaire, a indiqué le Sénat dans un communiqué. Elle sera enrichie par les retours d’expérience des incendies de l’été 2022 ; à cette fin, les rapporteurs se rendront en Gironde à l’automne, pour prolonger les premières consultations déjà engagées sur les feux hors normes ayant ravagé la forêt girondine en juillet dernier."

 

Feux de forêt : une mission flash de Départements de France

"François Sauvadet, président de Départements de France, a décidé de conduire une mission flash de retour d’expériences à la suite d’un été 2022 marqué de façon inédite par la sécheresse, les canicules et les multiples incendies de forêt qui ont concerné l'ensemble du territoire", a annoncé l'association ce 22 août. André Accary, président de la Saône-et-Loire et président de la commission Sdis de Départements de France et Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde, seront chargés de l’exécution de cette mission d’ici à la mi-septembre. "Ils se déplaceront dans les départements sinistrés afin de formuler rapidement, en lien avec les autres acteurs de la sécurité civile, des propositions fédératrices, indique le communiqué de l'association. L’objectif est d’analyser les besoins des sapeurs-pompiers pour faire face à ces mégafeux en particulier, et à l’extension des menaces en général. Il s’agit notamment, à partir d’échanges avec les élus locaux et les acteurs du secours, de réfléchir à de nouvelles pistes pour le financement des Sdis, et de favoriser le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires." "Les départements financent près de 60% des Sdis et sont un acteur à part entière de la Sécurité civile au niveau local. C’est ce rôle central qui nous donne la légitimité pour lancer cette mission et pour demander une gouvernance cohérente de la politique de sécurité civile, qui passe par une association en amont des élus locaux aux orientations stratégiques." Les conclusions de cette mission seront communiquées au gouvernement ainsi qu’à tous les acteurs concernés, "afin de trouver les meilleures solutions – financières, humaines ou encore fiscales – pour anticiper et intervenir sur les incendies", a précisé François Sauvadet.